Manhattan
Sporting Goods, le meilleur magasin d’articles de sport de New York, était fermé. Mais Larry fit un trou dans la vitrine avec un grand tuyau de fer qu’il trouva par terre. L’alarme se mit à beugler bêtement dans la rue déserte. Il prit un grand sac à dos pour lui, un plus petit pour Rita qui avait fourré quelques vêtements de rechange – pas beaucoup – et des brosses à dents dans un sac de voyage Pan-Am découvert au fond d’un placard. Larry avait trouvé légèrement absurde l’idée des brosses à dents. Rita s’était habillée pour la marche très élégante comme toujours dans son pantalon de soie blanche. Larry portait des jeans et une chemise blanche dont il avait retroussé les manches.
Ils remplirent les sacs de produits déshydratés, rien d’autre. Inutile de trop se charger, avait dit Larry, on trouvera tout ce qu’il faut en route. Elle acquiesça distraitement et son manque d’intérêt l’agaça une fois de plus.
Après un moment de réflexion, il prit encore un fusil 30-30 et deux cents cartouches. C’était un magnifique fusil. Le prix était indiqué sur l’étiquette qu’il laissa tomber négligemment par terre : quatre cent cinquante dollars.
– Tu crois vraiment qu’on a besoin de ça ? demanda-t-elle inquiète.
Elle avait toujours son 32 dans son sac.
– Je crois que oui.
Il n’avait pas oublié la triste fin de l’homme aux monstres.
– Oh…, fit-elle avec une toute petite voix.
Et il devina à ses yeux qu’elle pensait à la même chose que lui.
– Ton sac n’est pas trop lourd ?
– Oh non. Pas du tout.
– Tu vas voir qu’il pèsera plus lourd tout à l’heure. Si tu te sens fatiguée, je le prendrai un peu.
– Ça ira, répondit-elle avec un sourire.
Ils sortirent sur le trottoir et elle regarda des deux côtés de la rue.
– On s’en va.
– Oui.
– Je suis contente. J’ai l’impression…
comme quand j’étais une petite fille et que mon père disait : « On va aller se promener aujourd’hui. » Tu te souviens ?
Larry lui rendit son sourire. Lui aussi se souvenait de ces soirs quand sa mère lui disait : « Le western que tu voulais voir passe au coin de la rue. Avec Clint Eastwood. Qu’est-ce que t’en dis, Larry ? »
– Oui, je me souviens.
Son sac à dos la gênait un peu. Elle le redressa d’un petit coup d’épaule.
– On part en voyage. Le début d’une aventure…
Elle avait parlé si bas que Larry crut ne pas avoir entendu.
– Le début d’une aventure…
– Moins nous aurons d’aventures, mieux ça vaudra, répondit Larry, mais il avait compris ce qu’elle voulait dire.
Elle regardait toujours autour d’elle.
Un étroit canyon s’ouvrait devant eux, entre le béton des gratte-ciel, les grandes baies vitrées éblouissantes de soleil, un canyon où les voitures s’alignaient les unes derrière les autres sur des kilomètres et des kilomètres. Comme si tous les New-Yorkais avaient décidé de se garer en même temps en pleine rue.
– J’ai été aux Bermudes, en Angleterre, en Jamaïque, à Montréal, à Saigon et à Moscou. Mais je n’ai jamais fait un vrai voyage depuis le temps que j’étais une petite fille, quand mon père nous emmenait au zoo, ma sœur et moi. On y va, Larry.